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“Une école de la nature à l'échelle des enfants”

Responsable du service des espaces verts de Rotterdam, aux Pays-Bas, Annemieke Fontein gère une aire de jeux conçue en pleine nature. Loin des structures standardisées de notre pays, de Speeldernis offre aux plus jeunes la possibilité de tester leurs capacités physiques et leurs aptitudes sociales...

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Les communes, grandes ou petites, ont toutes à coeur de mettre à disposition des enfants et des parents des aires de jeux ludiques, sécuritaires, attractives et qui permettent bien des découvertes. En France, il y a pléthores d'espaces de ce type, tous marqués par la sécurité et le développement personnel. Le jeu collectif est un moment capital pour apprendre sans contraintes, car beaucoup de notions y sont instinctivement assimilées comme la place du corps dans l'espace, ses propres possibilités physiques, la capacité à s'autoréguler, à acquérir des aptitudes sociales (attendre son tour, collaborer, suivre des règles). Le jeu à l'extérieur favorise également le bien-être, le développement des muscles, l'attention, la gestion des conflits et la coordination.

Les Hollandais sont très proches d'une nature omniprésente dans l'ensemble du pays. Cette sensibilité particulière, loin d'être aussi généralisée en France, les anime. Peut-être est-ce la pratique du vélo toute l'année et par tous les temps (froid, pluie, chaleur et vent) qui les prédispose à cette approche écologique et respectueuse. « À Rotterdam, nous avons mis en place une aire de jeux naturelle, de Speeldernis, qui est une école de la nature à l'échelle des enfants. C'est presque une approche philosophique : la ville offre aux tout-jeunes la possibilité de s'ébattre librement dans une nature presque authentique et laisse libre cours à leur imagination féconde. Tomber, se griffer... fait également partie du jeu comme lors de l'apprentissage de la marche, et permet de trouver la juste mesure », explique Annemieke Fontein, directrice du service des espaces verts de Rotterdam, aux Pays-Bas. Dans cet espace clos, on peut tout faire, ou presque, comme des robinsons. Sous les balançoires, le sol n'est pas recouvert de revêtement amortissant, comme le recommandent les prescriptions d'homologation des aires de jeux en France, mais de terre standard. Dans la partie réservée aux plus petits, les structures sont en matériaux bruts comme des troncs d'arbres. Un mince filet d'eau sur lit de sable serpente pour mouiller ses bottes, ses pieds ou son maillot l'été. Dans la partie des plus grands, séparée de celle des plus petits (jusqu'à 4 ans), les branches d'arbres ne sont pas évacuées mais, au contraire, laissées à la disposition des enfants qui s'amusent à les transporter et à construire des cabanes et des tipis où bon leur semble. Ces branches, préparées par le personnel du parc, donnent toutefois une impression de naturel. Les feuilles, les fougères, les lianes servent de murs ou de tapis dans les cabanes. On court partout sur les pontons, dans les allées, entre les arbres dans les sous-bois. Les fonds de culotte sont râpés sur des toboggans en terre qui recouvrent les pentes de la « montagne ». Cette dernière est parcourue d'un réseau invisible de buses de canalisation en béton de fort diamètre (80 cm), dans lesquelles les enfants peuvent circuler courbés et imaginer qu'ils sont des taupes ou qu'ils se trouvent dans un souterrain. La fontaine, approvisionnée par l'eau de la ville et construite comme une cascade avec des roches non arrondies, alimente tout d'abord un ruisseau que les enfants empruntent pour se rafraîchir, puis les grandes mares où ils ont pied. Des troncs d'arbres enjambent les plus petites retenues d'eau et les têtes blondes doivent user de leur équilibre pour traverser. Des canards y nagent en famille, lorsque les mares ne sont pas le territoire des plus jeunes.

Le terrain, d'une superficie d'environ un hectare, se situe en limite de ville. Il a été choisi, il y a dix ans, pour sa localisation non urbaine et son état sauvage d'origine. Quelques vieux frênes procurent ombre et cachettes. « Après la mise en place technique par les services de Rotterdam (éclairage, alimentation en eau, douche solaire, installation des buses de découverte, pontons) et la formation du terrain, la végétation a été plantée en complément de celle existante. Ce ne sont que des plantes indigènes que l'on trouve à l'état spontané : fraises des bois, sureaux, clématites sauvages, mûres, frênes, érables champêtres. Le temps et les semis spontanés font le reste d'année en année », détaille Annemieke Fontein. Même si l'ensemble paraît sauvage, rien n'est laissé au hasard. Les végétaux sont vérifiés quotidiennement, afin de limiter leur propagation, et ils sont coupés dès qu'ils présentent un quelconque danger, comme les orties situées dans les zones de passage qui peuvent provoquer des allergies, ou encore les ligneux à baies qui sont taillés avant la formation des fruits, parfois toxiques. Ils ne sont toutefois pas éradiqués complètement. Une personne est chargée d'observer chaque semaine, dans les zones laissées « sauvages », si d'autres apparitions végétales non souhaitées poussent parmi les plantes déjà établies. La sélection se fait ensuite.

Quant à l'eau, elle n'est naturellement pas loin : les canaux, omniprésents en Hollande, ceinturent le parc. Des clôtures d'un mètre de haut type ganivelle, en pieux de châtaignier, recouvertes de ligneux comme la clématite sauvage ou les mûres, préservent la sécurité aussi bien, et même mieux, que des barrières, car on ne peut pas les enjamber. L'eau, le feu, l'air et la terre font tour à tour partie d'ateliers « découvertes » destinés aux plus grands.

Les parents pensent que c'est à l'âge des jeux qu'il faut apprendre à vivre au sein de la nature. « Il faut que l'enfant apprenne ce qu'il peut faire, ou pas, de son corps et où se situent les limites. La suppression des réalités entraîne une vision erronée de la vie à laquelle il sera confronté plus tard », précise la responsable du service des espaces verts. « Viendront ensuite l'apprentissage de la rue et celui de la sociabilité, réservés à l'éducation des parents. Mais déjà, beaucoup de connaissances seront acquises grâce à ces aires naturelles », ajoute-t-elle. Cette approche très ludique s'adresse à ceux qui désirent que leurs enfants, de 2 à 14 ans, découvrent spontanément leur environnement. L'imagination de ces derniers fait le reste et c'est le but de ce type de structure. L'entrée est payante et encadrée discrètement, afin de limiter d'éventuels débordements car chacun vient y chercher le maximum de sensations... souvent liées aux expériences et aux découvertes les plus simples et les plus marquantes.

Patricia Grolier

De Speeldernis, Roel Langerakweg 25b, 3041 Rotterdam JK. Ouvert toute l'année d'octobre à avril, le mercredi de 12 h à 17 h, et d'avril à octobre, tous les jours de 12 h à 18 h. Les ateliers ont lieu sur le site (sur inscription, car le nombre de places est limité). Site web : www.speeldernis.nl

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